Volatiles : Vacciner ou pas ?

Publié le par member RJP

Vacciner ou pas ?

La question divise les spécialistes. D'abord parce que les vaccins disponibles ne sont pas efficaces à 100%. Ensuite parce que leur utilisation pourrait permettre à l'épidémie de progresser sans bruit

Depuis le 22 février, munie du feu vert de la Commission européenne, la France est autorisée à vacciner préventivement environ 900 000 oies et canards d'élevage dans certaines zones humides des départements des Landes, de la Loire-Atlantique et de la Vendée. Auparavant, l'Afssa (Agence française de Sécurité sanitaire des Aliments) avait été priée de «réévaluer» ses avis précédents, et avait fini par juger éminemment souhaitable et même urgente cette protection vaccinale, qu'auparavant elle estimait plutôt néfaste.

Pourtant beaucoup d'experts persistent à penser qu'en l'état actuel des choses les inconvénients l'emportent sur les avantages. Dans les trois départements concernés, plusieurs associations d'éleveurs se sont empressées de dire qu'il était surtout urgent... d'attendre. Et de privilégier chaque fois que possible le confinement plutôt que le vaccin. Ne sachant pas bien «où se trouvent les vaccins et quand ils seront disponibles», ni «quelles en seront les modalités d'application», ni surtout... qui les paiera, les éleveurs se méfient. A tous, «la vaccination fait un peu peur» : Marie-Pierre Pé, du Comité interprofessionnel du Foie gras, redoute «la part de l'irrationnel» dans le comportement des consommateurs, plus imprévisible encore que celui des virus. Et elle considère que rien ne presse, tant qu'aucun animal malade n'a été détecté dans les élevages des trois départements visés.

Sans compter que les oiseaux vaccinés - qui restent pourtant consommables - subiront des restrictions commerciales : les animaux vivants, ainsi que leurs oeufs et les poussins issus de ces oeufs devraient être interdits d'exportation.

Pour Jean-Luc Angot, de l'Organisation mondiale de la Santé animale, «la vaccination préventive ne constitue pas à notre sens une priorité». Quant à Jean-François Saluzzo (1), virologue et expert auprès de l'OMS, il dit carrément : «La vaccination des animaux est un leurre, car les vaccins disponibles sont de très médiocre qualité.» Il est même arrivé, ajoute Jean-Luc Angot, qu'«en Chine des foyers de grippe aviaire se soient déclarés à cause de vaccins qui ne répondaient pas aux normes internationales».

En Europe, les vaccins proposés sont inactivés, débarrassés de toute virulence. N'empêche, le quotidien « Ouest France » se demande si la vaccination ne serait pas qu'«une sorte de placebo destiné à rassurer un consommateur dérouté». Et qui, à l'inverse, pourrait tout aussi bien l'inquiéter...

En tout cas, les vaccins disponibles et homologués en Europe ne procurent pas une immunisation à 100%.

Il n'y en a d'ailleurs que deux : ceux de la firme néerlandaise Intervet et de l'américaine Fort Dodge. Dans les deux cas, il ne s'agit pas de vaccins contre le virus H5N1, mais respectivement contre ses « cousins » H5N2 et H5N3.

Pourquoi pas un produit spécifiquement dirigé contre H5N1 ? Selon certains experts, c'est que, sans oser l'avouer, on n'en a pas encore réussi la mise au point. Pour d'autres, c'est parce qu'il est plus intelligent de procéder ainsi : les variants N2 et N3 procurent une immunisation croisée - jugée satisfaisante - contre H5N1, tout en exprimant des anticorps légèrement différents.

De ce fait, les tests biologiques permettent de distinguer un canard vacciné d'un canard ayant réellement contracté la maladie, ce qui apparaît essentiel à la surveillance des élevages.

Reste - puisque l'immunisation n'est pas totale - le risque de retarder la détection d'un foyer infectieux : le virus pourrait assez longtemps s'avancer masqué, à bas bruit, parmi des oiseaux insuffisamment protégés, qui finiraient néanmoins par tomber malades, et par propager un virus éventuellement rendu plus résistant...

C'est pourquoi, observe Jean-Luc Guérin, de l'Ecole nationale vétérinaire de Toulouse, à propos de l'opportunité du vaccin, on peut aligner les arguments dans un sens comme dans l'autre. «Mais si on décide de vacciner, alors il faut le faire tout de suite, sans attendre le retour des oiseaux migrateurs. D'autant que l'immunité est acquise seulement un mois après l'inoculation.»

 Pour pallier le risque d'une infection provisoirement dissimulée par une immunité insuffisante, on a imaginé une parade : priver de vaccin un petit pourcentage d'«oiseaux sentinelles», dont on scrutera ensuite l'état de santé pour guetter l'arrivée d'une épidémie éventuelle.

Heureusement, d'autres campagnes de vaccination sont en cours, ou prévues à très court terme, ce qui devrait fournir de nombreux enseignements quant aux modalités d'administration du vaccin : la protection des oiseaux rares des parcs zoologiques, à laquelle la Commission européenne avait donné sa bénédiction de principe dès le 21 octobre 2005. Les Pays-Bas et la Belgique ont largement entamé la vaccination de tous les pensionnaires à plumes de leurs zoos. La France devrait s'y mettre incessamment.

(1) Coauteur avec Catherine Lacroix-Gerdil de « Grippe aviaire : sommes-nous prêts ? », Belin.


Fabien Gruhier 
Semaine du jeudi 2 mars 2006

http://www.nouvelobs.com/articles/p2156/a296097.html

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